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Et le verbe vint au nouveau-né
LE MONDE | 11.11.03    MIS A JOUR LE 11.11.03 | 17h21
Avant même d'être sorti du cocon utérin, le bébé perçoit les subtilités du langage humain. Avec une préférence marquée pour la voix de sa mère.

Ils sont douze , garçons et filles. Agés de 3 jours en moyenne, et prêts à découvrir le monde. Dans le laboratoire de recherche où leurs parents les ont amenés, les adultes ont organisé un petit jeu. Leur but : étudier si les bébés, dès la naissance, sont capables de coordonner les informations qu'ils reçoivent par perception visuelle et par perception tactile. Au sortir de cette étude, la réponse sera sans équivoque : c'est oui. Les nouveau-nés humains "voient" avec leurs mains autant qu'avec leurs yeux.

Menée il y a quelques mois par Arlette Streri et Edouard Gentaz, psychologues du CNRS au laboratoire de cognition et développement de l'université Paris-V, cette étude s'appuie sur un fait bien connu : à peine né, le nourrisson réagit à toute nouvelle situation en l'explorant plus longuement que celles qu'il connaît déjà.

L'expérience se déroule en deux phases. Dans la minuscule main droite, on place tout d'abord un petit objet : soit un prisme, soit un cylindre. "Dès que le nourrisson le lâche, l'expérimentateur le lui remet dans la main jusqu'à ce qu'il "s'habitue" à la forme de l'objet ", expliquent les chercheurs.

"Dans la deuxième phase, on présente à la vue du nourrisson les deux objets côte à côte pendant 60 secondes. La mesure du temps de regard pour chaque objet montre que celui qui a été préalablement tenu par la main droite retient moins longtemps l'attention visuelle du nourrisson que celui qui n'a pas encore été exploré au toucher."

Le comportement visuel de douze autres nouveau-nés a également été testé, sans qu'ils aient tenu un objet dans leur main : cylindre ou prisme, ils regardent alors autant l'un que l'autre. Ce qui démontre que l'objet qui a été exploré préalablement par le toucher est familier au nourrisson, contrairement à l'autre, perçu comme nouveau.

Quoi de plus naturel, pensera-t-on ? Pourquoi s'étonner que le cerveau d'un petit d'homme, fût-il âgé de 3 jours, puisse effectuer un tel "transfert intermodal", c'est-à-dire appréhender un objet par un sens ou un autre (vision, audition, toucher) pour en tirer les mêmes propriétés ? C'est oublier un peu vite que cette "évidence" est récente. Et que les bébés de 1 mois, 3 mois et même plus étaient considérés par le plus grand nombre, il y a encore quelques décennies, comme des tubes digestifs tout juste bons à brailler, téter, dormir - bref : juste bons à grandir.

Sous l'impulsion conjointe des cognitivistes, des pédiatres ou pédopsychiatres, des puéricultrices... et des parents, la perception que nous avons des nouveau-nés a, aujourd'hui, radicalement changé. Et il faut s'en réjouir. Pour eux, sans aucun doute. Mais aussi pour la science, à laquelle ils n'ont jamais tant appris. Notamment en ce qui concerne le langage humain, dont ils perçoivent les subtilités pratiquement dès leur sortie du ventre maternel.

"A la naissance, le bébé entend très bien", rappelle le pédiatre Julien Cohen-Solal. "Il a même une perception auditive considérable. On entend souvent des mères dire : "Mon bébé est nerveux, il tressaute au moindre bruit ou quand on claque la porte." Mais c'est normal ! Le bébé n'est pas nerveux du tout : il a un système nerveux tout neuf et il entend particulièrement bien."Si bien, même, que ses capacités de perception de la parole, à peine né, défient presque l'entendement.

Au commencement était le verbe ? Pour les chercheurs du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique du CNRS (Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris), la chose est entendue de longue date. Sous l'impulsion de son directeur, Jacques Mehler, cette équipe a accumulé au cours des quinze dernières années des résultats ahurissants. Là encore, leur méthode d'observation, dite de "succion non nutritive", se fonde sur le fait que tout événement perçu comme une nouveauté par un tout jeune bébé va induire chez lui une réaction - en l'occurrence, une augmentation du taux de succion de la tétine qu'on lui a attribuée. Munie d'un capteur de pression relié à un dispositif d'enregistrement, celle-ci fournit ainsi de précieux renseignements sur le niveau d'intérêt des nouveau-nés aux stimuli verbaux.

Grâce à ces travaux et à ceux de quelques autres équipes dans le monde, on sait désormais que le nourrisson, dès les premiers jours de sa vie, fait parfaitement la différence entre sa langue maternelle et les autres. Plus incroyable encore : il distingue sans peine deux langues étrangères, tels le français du russe, l'anglais de l'italien ou le néerlandais du japonais ! Si les subtilités de la phonétique lui échappent encore, il possède en effet une extrême sensibilité à la prosodie de la langue - autrement dit à tout ce qui se réfère à la syllabe, à l'accent tonique, aux tons, au rythme et à l'intonation de la parole.

Ainsi, à 3 jours, reconnaît-il des syllabes proches, comme "r" et "l", ou "pah" et "bah". Ce que les adultes eux-mêmes ne savent pas toujours entendre (les Japonais sont pratiquement incapables de reconnaître le "r" du "l"), ce que les systèmes automatiques de reconnaissance de la parole peinent à reproduire est pour lui aussi naturel que de salir ses premières couches !

Avant la fin de sa première année, une partie de cette aptitude aura déjà disparu : le petit d'homme n'aura conservé que les distinctions pertinentes à la langue qui l'entoure, et commencera d'effectuer des discriminations situées à un niveau supérieur, celui des mots.

En attendant cette évolution - cette restriction ? -, quelle virtuosité dans sa perception des langues ! Et quelle plasticité dans ce petit cerveau, si précocement équipé pour entendre la parole ! Car il s'agit bien d'une spécialisation, doublée d'une mémoire de la langue maternelle. Pour le vérifier, des chercheurs du CNRS, de l'Inserm, du CEA et de l'AP-HP n'ont pas hésité à soumettre des bébés de 2 mois (14 filles, 6 garçons) au verdict de l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Leur but : visualiser in situ les zones cérébrales activées par l'écoute de leur langue maternelle.

Conduite à l'hôpital Necker-Enfants malades (Paris) sous la houlette de la psychologue de l'enfant Ghislaine Dehaene-Lambertz, cette étude, publiée dans la revue Science (datée du 6 décembre 2002), était, en France, la première du genre. Et tout porte à croire qu'il y en aura d'autres, tant le cerveau du tout-petit semble se prêter au jeu.

"Les images des activations cérébrales des nourrissons ont été collectées tandis qu'était diffusé, alternativement toutes les 20 secondes, l'enregistrement sonore d'une histoire lue par une voix de femme, suivi de silence pendant la même durée", détaillent les chercheurs. Particularité de l'expérience : la bande sonore était passée dans le sens de lecture normal, mais aussi dans le sens inverse - allant ainsi à l'encontre des propriétés universelles du langage humain.

Résultat : comme chez l'adulte, l'hémisphère gauche s'active plus que le droit lorsque bébé écoute, et plus encore lorsque la bande défile à l'endroit. On constate de plus que certaines zones impliquées dans les processus de mémorisation, tel le gyrus angulaire (mémoire des mots), ne sont pas stimulées par la version inversée, alors qu'elles le sont à l'écoute normale de leur langue maternelle. Preuve par l'IRM est faite : les réseaux cérébraux du langage humain sont en place bien avant que l'enfant ne prononce ses premiers mots.

Détail troublant, toutefois : élargissant les expériences menées sur les capacités des nouveau-nés à distinguer deux langues étrangères, les psycholinguistes français ont découvert, en collaboration avec des primatologues américains de l'université Harvard (Massachusetts), que nos chers poupons partageaient cette aptitude... avec les singes tamarins adultes !

"Non seulement les tamarins sont capables de distinguer le néerlandais du japonais, mais ils éprouvent les mêmes difficultés que les nouveau-nés lorsque la parole est jouée à l'envers", précise Franck Ramus (EHESS).

Nos capacités de perception de la parole ont-elles évolué à partir des propriétés du système auditif ancestral des primates, rendant plus ardue encore la définition du "propre de l'homme"? Même si les aspects universels de cette perception sont partagés avec les tamarins, l'usage que feront les deux espèces de ce traitement auditif reste fondamentalement différent.

Rassurons-nous : singes et bébés peuvent bien entendre pareillement le langage des hommes, seuls ces derniers s'en serviront naturellement pour apprendre la phonologie, la syntaxe et le lexique de leur langue maternelle. En un mot : pour leur donner du sens. A condition que le bain de paroles dans lequel ils nagent dès la naissance soit accompagné d'un investissement affectif, sans lequel il ne peut y avoir de bon développement du langage.

Catherine Vincent

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 12.11.03
  

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