Au Café pédagogique : Réponse à la réponse de F. Jarraud à propos de l’expertise collective INSERM

 

Votre réaction à la réponse qui vous a été adressée par Franck Ramus (au nom de l'ensemble des experts de l'expertise collective INSERM) à propos de votre présentation du rapport "Dyslexie, dyscalculie, dysorthographie" est surprenante. En effet, contrairement à ce que vous laissez sous-entendre, ces experts sont issus de différentes disciplines: psychologie cognitive, psychologie du développement, neuropsychologie de l’enfant, pédiatrie, neurosciences, psycholinguistique et linguistique. De plus, encore contrairement à ce que vous affirmez, le bilan n'a pas écarté les travaux émanent des sciences sociales et des sciences de l’éducation au bénéfice de ceux des neurologues et cogniticiens. Certains travaux issus de la sociologie et, surtout, de pédagogie sont présentés dans l'expertise. Par exemple, l'introduction de la partie "Troubles spécifiques des apprentissages" (pp. 151-156) comporte une synthèse d'études de l'INSEE, de l'OCDE et du Ministère de l'éducation sur les difficultés de lecture, en général (ce qui n'était pas l'objectif du rapport). De même, on trouve dans ce rapport une synthèse de travaux sur l'incidence des méthodes sur l'apprentissage de la lecture (pp. 61-67) et un bilan d’études de prévention en milieu scolaire (pp. 573-582). Ce ne sont là que des exemples.

Vous avez aussi écrit, dans votre première présentation de l’expertise collective INSERM, ne pouvoir accueillir que défavorablement les recommandations des auteurs, à savoir que "La diffusion la plus large possible des avancées scientifiques est importante auprès de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et de l’Éducation nationale, qui ont en charge les enfants présentant des troubles spécifiques d’apprentissage, afin d’assurer tout à la fois le dépistage le plus précoce des enfants à risque et permettre la mise en place, sans tarder, de mesures visant à réduire leur déficit". Vous avez alors ajouté que "les simplifications qu'entraîneraient une diffusion massive de théories FUMEUSES aboutirait plutôt à une régression sociale et pédagogique sans précédent. Si mes élèves faibles sont "malades" à quoi bon inventer de nouvelles approches dans ma classe".

Ce passage laisse entendre que le rapport nierait l'influence de l'environnement et de l'action pédagogique sur la réussite scolaire. Cette allégation est doublement fausse. En effet, d'une part le rapport souligne que seul environ un quart des enfants en difficulté d'apprentissage souffre de troubles spécifiques dont l'origine neurobiologique est scientifiquement démontrée; d’autre part, même en cas de troubles spécifiques, le rapport insiste sur l'importance des facteurs environnementaux. Quant à vous, pensez-vous réellement que le rôle de l'environnement puisse expliquer certaines difficultés sévères et spécifiques d'apprentissage qui se retrouvent même chez des enfants intelligents et issus de milieux plutôt favorisés? Avez-vous aussi oublié que celui que l'on peut citer comme étant un des fondateurs des sciences de l'éducation, Henri Wallon, était philosophe, psychologue et docteur en psychiatrie ? Henri Wallon a toujours mis en avant les interrelations entre facteurs biologiques, sociaux et psychologiques dans le développement de l’enfant. Il a créé (en 1925) le laboratoire de "Psychobiologie de l’enfant" et a été titulaire de la chaire "Psychologie et Education de l’enfant" au Collège de France.

Le plus important de notre propos, au moins pour les enseignants, est ce qui est préconisé dans le rapport pour la première prise en charge. Nous soulignons en effet qu’il faut mettre en place d’abord, pour les enfants en difficultés, une réponse pédagogique, sans aucune médicalisation. En effet, d'après les études existantes, un certain nombre de difficultés des apprentissages scolaires peuvent être surmontées grâce à une réponse pédagogique appropriée.

Si, dans une démocratie, la liberté de parole est essentielle, ce principe doit s’accompagner de celui de responsabilité, c’est une question d’éthique. Dans le débat en question, il est crucial que tous les partenaires soient informés le plus correctement possible. Ce qui a été dit à ce sujet par le Directeur de la Recherche (Jean-Marc Monteil) lors du séminaire national "Apprendre à lire à l’école primaire" (9 mars 2006) est crucial. Nous reprenons ci-dessous une partie de ses propos, tels qu’ils ont été diffusés par le "Café pédagogique": Il y a une responsabilité des scientifiques à ne pas confondre la science avec l’impressionnisme. Il faut savoir séparer ce qu’on avance en l’ayant confronté à l’épreuve des faits… Cela vaut pour toutes les sciences : avoir l’exigence éthique de ne pas confondre l’opinion avec le début de preuve… Si ces choses là étaient installées, qu’on liait les interrogations de la pratique avec la science dans la formation, on serait débarrassé de la "saturation idéologique". Nous avons tous une responsabilité individuelle là-dedans, à quelque niveau que nous soyons.

 

Liliane Sprenger-Charolles et Jean-Emile Gombert, pour le groupe d'expert

 

Groupe d'experts:

Pierre Barrouillet, Faculté de psychologie et de sciences de l’éducation, Université de Genève, Suisse

Catherine Billard, Centre de référence sur les troubles des apprentissages, Hôpital Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre

Maria de Agostini, Recherche en épidémiologie et biostatistique Inserm-CNRS, Villejuif

Jean-François Démonet, Service de neurologie, Inserm et Hôpital Purpan, Toulouse

Michel Fayol, Laboratoire de psychologie sociale et cognitive, Université Blaise Pascal et CNRS, Clermond-Ferrand

Jean-Émile Gombert, Centre de recherche en psychologie, Cognition et Communication, Université Rennes 2

Michel Habib, Service de neurologie pédiatrique, Hôpital des enfants de la Timone, Marseille

Marie-Thérèse Le Normand, Physiologie et neurologie du développement, Inserm et Hôpital Robert Debré, Paris

Franck Ramus, Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique, EHESS-CNRS-ENS, Paris

Liliane Sprenger-Charolles, Laboratoire de psychologie de la perception, Université René Descartes et CNRS, Paris

Sylviane Valdois, Laboratoire de psychologie et neurocognition, Université Pierre Mendès France et CNRS, Grenoble