Anne-Marie Chartier: Dans le débat de 2006 sur les méthodes de lecture, les scientifiques
ont condamné la méthode globale, assimilée à une méthode idéo-visuelle, avant
d’admettre que l’important était la médiation phonique systématique, que l’on
parte des unités signifiantes (mots, phrases) pour aller vers les unités non
signifiantes (correspondances grapho-phoniques, syllabes) ou qu’on procède en
sens inverse. N’aurait-on pas pu éviter des malentendus ?
AMC: Dans son livre Les neurones de la lecture, S. Dehaene reprend ses allégations
d’inefficacité de la méthode globale (p. 298) en faisant comme si les
débats américains des années 1950 étaient aussi des débats français et conclut
« comment enseigner la lecture » en fixant même une progression
d’apprentissage des phonèmes qui ne s’appuie sur aucune référence scientifique.
N’est-ce pas sortir de son aire de compétence ?
AMC: Le rapport de l’IGEN de 2006 sur la mise en œuvre de
la politique éducative de l’apprentissage de la lecture indique que seuls
3 % des maîtres n’ont pas commencé l’enseignement des relations
graphèmes-phonèmes lors de la quatrième semaine du CP. Est-ce la fin d’un
débat ?
FR: Pas sûr. Ce chiffre de 3 % me paraît peu
crédible, eu égard d’une part au contexte du rapport (il fallait rassurer le
ministre sur le fait que sa politique était suivie d’effet), d’autre part à la
fréquence des observations informelles rapportées aussi bien par des
inspecteurs que par les parents. Ces observations font état de nombreuses
classes où l’enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes ne démarre pas
avant novembre voire décembre, et où les enfants jouent encore aux devinettes à
Noël. J’aimerais bien voir des données objectives sur le sujet. Malheureusement
je ne vois pas quel service de l’Éducation nationale aurait intérêt à les
produire. En tout état de cause, quand bien même ils ne seraient que 3 %,
cela ferait quand même environ 24 000 élèves, et leur sort me préoccupe.
AMC: Certains pédagogues insistent sur l’efficacité des
effets des savoirs acquis dans les activités d’écriture pour apprendre à lire
(activités graphiques, dictées à l’adulte, copies, situations de production de
texte aidée, individuelle ou en interaction…). Qu’en pensez-vous ?