En débat

Génétique et cognition

Réponse à M. Michel Vigier, suite à l'article de Libération "La bosse des maths n'existe pas"

et à son mailing ciblé sur le même sujet (voire aussi le site Innumérisme).

Cher Monsieur,

Je ne connais pas les détails de votre programme d'enseignement et je n'ai pas d'avis informé sur la question, mais tout ce que montre l'article de Libération, c'est que vous avez réussi à convaincre une journaliste qu'il valait la peine de parler de vos travaux. Si en revanche vous souhaitez établir la validité de votre programme, il est crucial de publier l'étude dans une revue scientifique internationale. L'éthique de la recherche exige normalement de publier avant toute chose ses résultats dans les revues scientifiques, et seulement dans un second temps d'en diffuser la teneur dans les médias. Sans quoi le risque est grand de polluer inutilement le débat public avec des données peu fiables, voire des allégations totalement fantaisistes, comme c'est déjà bien trop souvent le cas.

Admettons pour les besoins de la discussion que votre programme ait effectivement les qualités que vous lui prêtez. Cela serait, je vous l'accorde, tout à fait admirable. Mais même dans ce cas, cela ne vous autoriserait en rien à tirer des conclusions concernant la dyscalculie et ses origines biologiques présumées. En effet, votre étude ne portait de toute évidence ni sur des critères diagnostiques, ni sur des hypothèses biologiques.

Votre raisonnement a la forme d'un sophisme classique, qui consiste à croire que si un phénotype est influencé par des facteurs environnementaux, alors il ne peut pas être influencé par des facteurs génétiques. Reformulé de cette manière, vous devez pouvoir constater par vous-même l'erreur de raisonnement. Ce raisonnement méconnait la nature des mécanismes biologiques et présuppose une vision dichotomique du monde, selon laquelle les influences génétiques et environnementales sont exclusives les unes des autres, ce qui est assurément faux.

Si vous souhaitez vous informer plus avant sur les influences génétiques sur les fonctions cognitives, vous pouvez par exemple lire quelques-uns de mes articles:

Ramus, F. (2007). Neurosciences et Psychanalyse: Influences génétiques et psychosociales sur le développement cognitif. Le Journal des Psychologues, 251 (Octobre 2007), p. 27-30. preprint

Ramus, F. (sous presse). Quel pouvoir prédictif de la génétique et des neurosciences, et quels problèmes? Médecine et Droit. texte

Ramus, F. (2010). Génétique de la dyslexie développementale. In S. Chokron & J.-F. Démonet (Eds.), Approche neuropsychologique des troubles des apprentissages (pp. 67-90). Marseille: Solal. texte

Les recherches sur la génétique de la dyscalculie en sont à un stade très préliminaire et ne permettraient pas d'écrire un chapitre similaire à celui que j'ai écrit sur la dyslexie. Mais ce dernier peut, il me semble, vous donner une assez bonne idée de ce qu'on peut raisonnablement attendre concernant la dyscalculie. La section Conclusions devrait notamment vous permettre de comprendre pourquoi les variations de la prévalence des difficultés scolaires ne contredisent en rien la présence d'influences génétiques sur celles-ci.

Cordialement,

Franck Ramus